Tony Roman
Tony Roman
- Auteur et/ou compositeur
- Interprète
- Artiste québécois
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Biographie
En tant que chanteur, Tony Roman est passé dans le firmament du showbusiness québécois tel une comète aux nombreuses retombées. Son nom et les quelques images, miraculeusement conservées dans de rares archives télévisées, qui le montrent gambadant d’un bord à l’autre de la scène suffiraient déjà à immortaliser l’élan et la fougue de l’ouragan yé-yé, quelques mois à peine après les débuts de la beatlemanie au Québec. Mais le pianiste-chanteur n’allait pas en rester là. Moins de deux ans après avoir pris d’assaut la scène musicale, Tony Roman fondait une des compagnies les plus dynamiques de la toute jeune industrie du disque locale. Non seulement l’étiquette Canusa allait-elle aligner les succès au palmarès pendant toute la seconde moitié des années soixante, mais elle allait du même coup propulser quelques carrières qui allaient marquer la décennie suivante: Nanette Workman, Patrick Zabé, Stéphane (Robert), Johnny Farago, sans parler des futurs géants du management qu’allaient devenir Guy Cloutier et René Angelil.
Encore tout jeune, Antonio étudie le piano et forme son premier groupe musical à 17 ans. Se produisant sous le nom de Tony et les Tip Tops, il se familiarise avec la vie nocturne et devient bientôt l’accompagnateur attitré des idoles de la jeunesse que sont Tony Massarelli et Donald Lautrec. Déjà apprécié pour sa présence scénique, il se sent également attiré par l’aspect organisationnel du showbusiness et participe à la réalisation d’enregistrements de certains jeunes artistes tels Denise Brousseau, Pière Sénécal et les Baronets. Tout en apprenant les rudiments de la production et de la mise en marché, il se produit lui-même au cabaret et grave un premier album où il se fait l’émule de celui qu’on surnomme Monsieur 100,000 volts, sur étiquette Trans-Canada: “Hommage à Gilbert Bécaud“.
Dès les premières heures de la beatlemanie, fin 1963, il contribue à faire connaître le quatuor britannique en incitant ses amis les Baronets à graver leurs premières versions de ce répertoire des plus attrayants. Au même moment, il interprète lui-même sa propre version du grand succès des nouvelles idoles “Elle t’aime" (She Loves You) avec l’aide des même Baronets qui y participent avec un enthousiasme débordant. Un album est aussitôt mis en vente sous le titre “Monsieur Yé Yé“ où le nouvel enregistrement côtoie quelques-unes des chansons de Bécaud en plus de ses deux premiers 45 tours, gravés sans trop de succès au cours des mois précédents. Le succès mitigé de cet enregistrement, si on compare à ceux de ses camarades, ne laisse aucun doute à son esprit. La jeunesse québécoise, comme celle d’ailleurs, est déjà passée à une nouvelle étape: désormais, la musique des jeunes, qu’on l’appelle rock, pop ou yé-yé, est devenue une affaire de groupes! Tony forme bientôt de nouveaux accompagnateurs et va présenter son nouveau disque sous le vocable de Tony Roman et ses Dauphins.
Dès le premier passage du groupe aux diverses émissions jeunesse, “Do wha diddy diddy" a l’effet d’une bombe auprès des disquaires et sur les nombreux palmarès. La chanson, un succès mineur des Exciters, redevient bientôt un numéro un à l’échelle mondiale, grâce à son interprétation par Manfred Mann, une autre formation de la fameuse invasion britannique qui se fait toujours plus imposante. Devenus une des têtes d’affiche de la nouvelle vague et un des plus gros canons pour Jupiter, la nouvelle étiquette à la mode du producteur Yvan Dufresne, Tony et ses Dauphins récidivent et reprennent avec un résultat semblable le nouveau succès de Manfred Mann “Sha la la". Fort de ces deux succès, Tony participe à la nouvelle revue Yé-Yé 65, avec Jenny Rock, Michèle Richard et Dany Aumont, et entreprend une tournée aux quatre coins du Québec. Un court-métrage de Claude Fournier On sait où entrer Tony, mais c’est les notes dont le titre inusité provient d’une réplique de ses choristes Les soeurs Gallant, à propos de l’exécution d’une partition, témoigne de cette tournée typique. La carrière de Tony Roman comme chanteur est alors à son sommet et relève pratiquement de l’hystérie juvénile.
Entre deux séries de spectacles et les sessions d’enregistrements pour d’autres artistes chez Laval Records, le trépidant chanteur trouve quelques heures pour endisquer un nouveau microsillon où l’on retrouve, outre ses deux grands succès, quelques clins d’oeil aux pionniers du rock ‘n roll: the Everly Brothers “Quand je t’embrasse" (Till I Kissed You), Gene Vincent “Be Bop A Lula" et Ray Charles “Est-ce que tu le sais" (What’d I Say), sans oublier les idoles du yé-yé français comme Claude François “Du pain et du beurre" et Johnny Hallyday “Le pénitencier". Quelques pièces originales, écrites en collaboration avec les paroliers Gilles Brown et Hal Stanley y trouvent également place, de même qu’une étonnante composition du pianiste-chanteur “Crier, crier, crier" qui n’aurait pas détonné chez les tenants du punk rock une douzaine d’années plus tard!
À la grande surprise de ses fans, à l’été 1965, le chanteur s’exile pendant plusieurs mois aux États-Unis avec l’intention de tâter le pouls de la Grosse Pomme et de s’imprégner plus à fond des nouveaux sons qui s’y développent. Il revient au Québec la tête pleine d’idées et fonde la compagnie Canusa qui se veut ouverte aux nouveaux talents dont évidemment sa découverte personnelle, rencontrée lors de son séjour chez nos voisins du sud, Nanette Workman qui se présente alors sous son simple prénom. Tony lui-même grave de nouveaux succès sur cette étiquette, parmi lesquels “Hanky Panky", un numéro un pour Tommy James and the Shondells, à l’été 1966. Optant surtout pour les styles soul et R&B qui font alors fureur dans les grandes villes américaines, Tony grave les versions québécoises de “Mustang Sally" de Wilson Pickett, “Hey Joe" un air très prisé sur la côte ouest américaine et popularisé par le trio montant du Jimi Hendrix Experience, “Niki Hoeky" de P.J. Proby, “Mercy, Mercy Mercy" du jazzman Cannonball Adderly et plusieurs autres, seul ou en duo avec Nanette. Cet attrait pour les musiques urbaines de l’époque ne l’empêche pas de s’aventurer en terrain country avec “Tu peux t’en aller", version d’un succès de George Jones (The Race Is On) et “C’est l’amour qui nous a conduit à l’hôtel" (You Never Can Tell, de Chuck Berry).
Dans le tourbillon d’influences et de trouvailles technologiques propre à l’euphorie du mouvement pop, George Martin et les Beatles en tête, le jeune producteur tente à son tour les expérimentations sonores les plus osées, s’inspirant des collages en vogue et d’autres génies du studio comme Phil Spector ou George “Shadow" Morton. Ces expériences servent à certains artistes de la maison Canusa comme les Hou-Lops, la Révolution Française ou le 25ième Régiment, mais font surtout l’objet d’albums spéciaux tels “Expérience 9“ qui est avant tout l’oeuvre de Jean-Pierre Massiera et les “Reels psychadéliques“ qui n’auront qu’un succès d’estime mais ouvriront la porte à de nombreuses réalisations. Sur son premier album personnel paru sur Canusa, le producteur se réserve notamment l’adaptation d’un projet que Shadow Morton avait d’abord offert aux Shangri-Las: “Passé, Présent et Futur".
Étonnamment, alors qu’il s’intéresse de plus en plus à l’exploration formelle, Tony revient à des mélodies plus standard pour ses propres enregistrements comme “Mame" ou “Les bicyclettes de Belsize". C’est aussi le cas de plusieurs titres chantés avec Nanette: “Petit homme" et “Les petites choses" entre autres, deux chansons empruntées au duo Sonny and Cher ou encore le thème de leur émission hebdomadaire de l’été 1968, “Fleurs d’amour et d’amitié" popularisé par Johnny Hallyday.
En plus des divisions Canusa et A1, Tony Roman et son équipe lancent, à partir de 1969, les nouvelles étiquettes Révolution, R&B et Visa. La fin de la décennie est marquée par un ralentissement de sa production personnelle, au profit des carrières des artistes qui occupent des positions de plus en plus centrales sur le marché du disque comme Johnny Farago, Patrick Zabé et Stéphane. Ses dernières présences au palmarès se font plus discrètes et connaissent des ventes fort modestes. En 1971, la reprise d’une mélodie d’Ennio Morricone tirée d’un film sur Sacco et Vanzetti et adaptée au climat québécois “La ballade de Riel et Chénier" devient son dernier succès radiophonique. Sa participation quelques mois plus tard au film de Pierre Harel Bulldozer marque le début d’une nouvelle ère pour ce singulier personnage. Désormais le cinéma remplacera la musique à la fois comme discipline artistique et comme secteur d’affaires. Ce long silence ne sera brisé que par un bref intervalle en 1975, le temps d’une dernière série de spectacles et d’un succès de juke-box pour “La grosse Mado". Après avoir passé une quinzaine d’années en Californie, il se joint à la maison de production Malo Film à son retour au Québec. Après presque trente ans de silence, la récente compilation de ses anciens enregistrements, parue à l’été 2000, permet aux nouvelles générations de garder mémoire d’un des plus spectaculaires performeurs de cette époque lointaine.
Un des derniers projets auquel il ait travaillé est la coscénarisation de la comédie Camping sauvage, basée sur un synopsis de Tony et réalisée par Guy A.Lepage, également l’un des comédiens centraux du film. Il entreprend ensuite la production d’un docufiction intitulé Trois québécoises à Vegas et devant se dérouler dans l’entourage de Céline Dion, alors que la chanteuse achève son séjour de plus de quatre ans au théâtre Colosseum, attenant au Caesar’s Palace. La production est en cours et les tournages ont débuté lorsque le scénariste apprend qu’il est atteint d’un cancer sévère au foi. Il s’éteint le huit juin 2007, au moment où son succès de jeunesse, “Do wha diddy diddy" vient d’être réactualisé par Antoine Gratton sur un album rendant hommage à une quinzaine de “Chansons à Gogo“, époque dont Tony restera un des plus flamboyants représentants.
© Richard Baillargeon, Roger T. Drolet, 2015, qim.com