Les Montagnards Laurentiens

Les Montagnards Laurentiens

Biographie

L’exception confirme la règle, dit-on. C’est le cas en ce qui nous concerne pour ce groupe musical qui a été une des forces marquantes de la musique populaire de chez nous pendant plus de trente ans et qui n’a gravé aucun enregistrement commercial de toute son existence (d’où le caractère unique et exceptionnel de leur présence sur notre site). Cependant, un rapide coup d’oeil auprès de la génération d’auditeurs qui a suivi leur carrière sur les ondes radiophoniques ou qui a entendu ces musiciens lors de leurs tournées suffit à mesurer l’impact de cette formation au Québec. Quant aux connaisseurs de la pratique musicale, il ne fait aucun doute pour eux que les Montagnards Laurentiens ont joué un rôle capital dans la diffusion et la transmission de la musique traditionnelle d’ici.

Cet impact s’explique par la révolution technologique de l’époque: l’arrivée de la radio dans le paysage sonore. Née dans les années 20, la radio a donc à peine dix ans lorsque Les Montagnards Laurentiens entrent en ondes, en 1931. La station CHRC, qui les accueille à son studio tous les samedi soirs, diffuse quant à elle depuis cinq ans seulement, soit le mois d’avril 1926.

Le groupe se forme autour des frères Bill et Charles-Henri Harris qui habitent rue des Remparts, à quelques pas de la station de radio située à l’étage de l’Hôtel Victoria, dans le Vieux-Québec. Bill a déjà un pied dans la boîte, où on le présente comme Le Cowboy solitaire. Il propose au directeur et cofondateur de la station Narcisse Thivierge d’ajouter à sa programmation une émission de musique dansante dont lui et ses amis musiciens seraient les protagonistes. Ces amis, ce sont les violonistes Paul Drolet, Henri Émond et son propre frère Charles-Henri Harris. Bill en sera, pour sa part, le chanteur et guitariste. Jouant en direct des locaux de CHRC, les Montagnards ne tardent pas à devenir la sensation du samedi soir et les demandes spéciales qui affluent par la poste deviennent rapidement l’outil de mesure de leur popularité. Le “Thème des Montagnards" devient le signal de ralliement des amateurs de musique canadienne, comme on désigne à ce moment le répertoire traditionnel par opposition à la musique américaine identifiée à la modernité: fox-trot, charleston et autres danses de ballroom.

Au fil des ans, des musiciens et chanteurs s’ajoutent, faisant des Montagnards un super-groupe avant l’heure. Il faut aussi noter l’implication des divers animateurs qui donnent à l’émission son cachet. Parmi ceux-ci, on remarque les noms de Tom Burham, Félix Leclerc, Marcel Huard, Lionel Gallichan, René Mathieu, Laurent Gervais, Jean-Marie Bruneau, Noël Moisan, Roc Prou, Jean Boileau et Georges McKie dont l’évocation constitue à elle seule un résumé de l’histoire de la radio à Québec. Un tournant important se dessine vers 1938, alors que le noyau du groupe atteint la demi-douzaine. Un piano et une contrebasse sont maintenant des instruments essentiels, sans doute pour répondre aux besoins des spectacles en tournée, la formation étant devenue une attraction de plus en plus courue, notamment lors d’événements aussi populaires que l’Exposition provinciale, connue depuis sous le nom Expo-Québec. La mise en ondes de l’émission est confiée aux piliers de la station que sont les réalisateurs Marcel Huard (qui en assura aussi l’animation sur une courte période), Nana Dauvilliers, Paul Bédard, René Beaupré, Roméo Harris et Charles-Hubert Légaré.

Avec la guerre qui bouleverse le paysage à tous les niveaux, la diffusion (ou irradiation selon le vocabulaire de l’époque) s’élargit et l’émission est relayée par la station CHNS de Halifax. Un peu plus tard, l’antenne de CHRC passe de 100 watts à 1000 watts, étendant son rayonnement au Saguenay, à une partie de la Côte-Nord, aux régions du Bas-du-Fleuve, de la Beauce et vers Lotbinière. Le son des Montagnards acquiert une identité plus distincte avec l’arrivée du clarinettiste et saxophoniste Jean-Paul Beaulieu, dès 1939. Celui-ci ne tarde pas d’ailleurs à devenir le nouveau directeur musical du groupe.

Les Montagnards se distinguent également par l’excellence et le jeu personnel de certains musiciens solistes, au premier chef les accordéonistes Théodore Duguay (occasionnellement), Gérard Lajoie, Marcel Grondin et Lévis Beaulieu de même que les violonistes Viateur Ouellette, et Jos Bouchard (musicien invité). Un événement dramatique affecte l’équipe des Montagnards comme toute l’entreprise de la station CHRC en septembre 1942. Un incendie ravage l’édifice de l’Hôtel Victoria et les studios sont une perte totale. La façon dont on maintient la présence en ondes tient de l’épopée et témoigne d’une solidarité du milieu impensable aujourd’hui: après s’être rendus au point de transmission quelques rues plus haut, les techniciens et l’équipe de production s’installent provisoirement dans l’édifice de la station CKCV sise au carré D’Youville, puis dans une maison privée sur la rue Bégin, à quelques kilomètres du centre-ville. Après quelques relocalisations supplémentaires, de nouveaux studios sont inaugurés rue Saint-Jean, à deux pas de l’ancien site, en 1945.

Maintenant devenus une formation imposante (des photos publiées dans le livre que leur a consacré le fils du musicien Henri Émond montrent une équipe pouvant atteindre facilement de dix à quinze personnes), les Montagnards sont sollicités de toutes parts. Leur audience s’élargit encore grâce à la constitution d’un réseau nommé Trans-Québec qui couvre une grande partie du territoire, incluant la Métropole via la station CKAC. Le 17 mai 1952, La Presse publie une photo des Montagnards en studio. La revue Radio 49 qui avait devancé l’illustre quotidien trois ans auparavant, mentionnait dans son numéro du 21 mai* que «Une chanteuse ou un chanteur populaire de Québec est invité chaque semaine. Deux comédiens se partagent le soin de présenter de façon originale les numéros, en plus de glisser une petite histoire chaque fois que l’occasion s’offre à eux.» Histoires bien sages pour la plupart ou habilement farcies de double-sens, car la mentalité bien-pensante d’alors, dominée par une Église omniprésente, est pour le moins frileuse selon les standards d’aujourd’hui. Un des comédiens de l’équipe des Montagnards deviendra une vedette à part entière dans les années suivantes, grâce à la télévision: l’unique et sympathique Maurice Beaupré.

L’arrivée de la télévision amène la radio à se redéfinir ou du moins à se renouveler. Tout en gardant vivante sa formule gagnante, l’émission hebdomadaire hérite d’un nouveau nom à partir de 1955 «Tout l’monde en place». Les changements s’accentuent: de nouvelles modes musicales, l’utilisation de plus en plus fréquente de musique préenregistrée à la station concurrente CKCV et bientôt à CHRC (rappelons que les Montagnards jouaient en direct sur les ondes radiophoniques) et sa conséquence immédiate: l’institution des palmarès. Une nouvelle station de radio vient gruger peu à peu l’auditoire (CJLR en 1959), sans compter la présence de la station régionale de Radio-Canada qui émet également de la Capitale. Le groupe quittera finalement l’antenne en 1962. Un peu plus haut sur la même rue Saint-Jean, un groupe répand le son de ses guitares électriques: autres temps, autres moeurs.

Les Québécois (i.e. gens habitant la ville-même de Québec) n’oublient cependant pas leurs Montagnards. Bien que ceux-ci n’aient laissé aucune trace sonore de leur longue carrière sur disque, si ce n’est à travers quelques albums de musiciens individuels comme Gérard Lajoie, Jos Bouchard ou Gilbert Trudel, certains de leurs thèmes musicaux bénéficient toujours de la transmission par tradition orale ou par compagnonnage, à la façon des savoirs antiques. Des soirées ayant pour objet la mémoire du groupe se sont tenues à différentes périodes, à Québec et à Montmagny, en présence de certains membres encore vivants, plusieurs airs de leur répertoire étant repris par des musiciens des nouvelles générations. En 2004, suite à un travail d’enquête et de reconstitution de plus de cinq ans, Paul-Henri Émond, fils d’un des membres fondateurs des Montagnards Laurentiens, publiait une monographie de 418 pages intitulée: Les Montagnards Laurentiens 1931-1962, aux éditions Améca, collection Histoire de la radio.

  • CHRC La voix du Vieux-Québec, Radio 49, Montréal, 21 mai 1949

Le groupe original était constitué de:

  • Paul Drolet: violon (1931-1962)

  • Henri Émond: violon, égoïne, comédie (1931-1937)

  • Bill Harris: guitare, harmonica, chant (1931-1951)

  • Charles-Henri Harris: violon, banjo (1931-1941)

Le groupe a aussi compté dans ses rangs:

  • Maurice Beaupré: chant, comédie (1934-1957)

  • Jean-Paul Beaulieu: clarinette, saxophone (1939-1951)

  • Lévis Beaulieu: accordéon (1945-1962)

  • Edmond Bélanger: piano, accordéon-piano (1937-1947)

  • Rodolphe Bélanger: violon (1939-?)

  • Jos Brousseau: piano, égoïne, xylophone (1940-1952)

  • Gérard Dion: piano (?)

  • Roland Dorval: violon (1939-1949)

  • Jean-Louis Gagnon: contrebasse (?-1942)

  • Philippe Gagnon: contrebasse (?)

  • Marcel Grondin: accordéon (1947-1948)

  • Aimé Hamel: violon (1946-?)

  • Jean-Yves Hamel: piano (1955-1962)

  • Paul-Émile Jobin: violon (1939-1944)

  • Gérard Lajoie: accordéon (1939-1945?)

  • Roland Latulippe: guitare (?)

  • Lucien Leclerc: guitare, chant (1939-1944)

  • Paul Légaré: chant (1939-?)

  • Guy Lepage: chant (1946-1947)

  • Gérard Lessard: violon (1938-1940)

  • Jean-Paul Malouin: contrebasse (1942-1948)

  • Viateur Ouellet: violon (1938-1953)

  • Janine Émond-Prou: chant (1947-1952)

  • Paul-Émile Robin: violon (1939-1954)

  • Adélard Thiboutot: violon (1948-1952)

  • Maurice Turcotte: piano (1939-1942)

Membres occasionnels:

  • Gaudias Bédard: accordéon

  • Jos Bouchard: violon

  • Gérard Brochu: guitare, chant

  • Jean-Marie Bruneau: comédie

  • Théodore Duguay: accordéon

  • Roméo Harris: accordéon

  • Marcel Lachance: accordéon

  • Irène Lamontagne: piano

  • Jos Paquet: violon

  • Salomon Paquet: banjo

  • Maurice Perron: chant, comédie

  • Gilbert Trudel: guitare, mandoline

  • Marcel Trudel: mandoline

  • Yamel: magicien

    © Richard Baillargeon, Roger T. Drolet, 2015, qim.com